ADAMAWA

Si les mélusines existent, elles ont prospéré et vécu un temps de légende sur les rives de la Bénoué, au fond de ce Nigeria toujours multiple et surprenant.

Je ne connais pas d’équivalent dans l’histoire de l’art populaire, de la poterie domestique, d’une vaisselle villageoise si originale, profitant d’une terre généreuse, d’un limon souple. Les mains qui ont façonné ces récipients, l’imaginaire qui s’est libéré, la symbolique qui s’est affirmée, tout relève d’une alchimie secrète que l’imaginaire sauvage encourage, libéré de toute convention et donc libre de toute audace autorisée. Ce micro territoire, ces boucles de rivière, ce chapelet de villages semi lacustres  a vu se développer un style unique, voire peut être une œuvre unique, car il y a peu d’œuvres en circulation. On peut même penser qu’il s’agit d’une production signée d’un artisan éclairé et de son atelier. Ce pourrait être la production d’un artiste rituel qui aurait eu une poignée de disciples-assistants. Il semble qu’il y ait plusieurs « mains » capable de produire : la finesse des modelages, l’audace des solutions plastiques adoptées, la difficulté maitrisée, tout laisse penser à une œuvre qui a muri, relevé des défis, atteint des niveaux de qualité.

Ces poteries seraient des récipients médicinaux. Leur usage serait lié à des rituels. Leur ergonomie les destine et les limite à des fonctions : contenir des potions avec des ventres ronds, des culs oblongs mais aussi faciliter l’usage avec des becs, avec des bouches , peut être même des gueules, pour verser et pour doser les potions prescrites.

On peut admettre faute de mieux, cette explication qui interpelle toutefois, ces poteries étant en général privées de tous les attributs pratiques d’une vaisselle utilitaire : leur extrême fragilité de modelage, leur absence de socle ou de pieds, le culot exigeant l’enfouissement dans le sable ou dans l’argile. Toute manipulation thérapeutique aurait dû réduire le risque de brisure ou de casse.

Toute utilisation pratique aurait dû simplifier les formes et sécuriser les fonctions de stockage et de service. En fait cette vaisselle nécessitait plusieurs assistants pour un officiant, du personnel donc, formé aux rituels ou aux pratiques médicinales. L’ésotérisme apparent de ces poteries, leur originalité reconnue et partagée mériterait un commentaire plus renseigné et documenté.

Imaginez que Jérôme Bosch ou Salvador Dali, on sait la distance qui les sépare, avec leurs bestiaires, leurs visions baroques, leurs audaces délurées aient eu à produire une vaisselle domestique et des récipients médicinaux. Il n’est pas sûr que les Adamawas n’aient pas été plus loin, n’aient pas été plus forts, dans leur poésie, dans leurs symboliques, dans la résolution des défis plastiques.

Une rumeur accompagne les colporteurs de ces objets : un jour, le chef de ces villages aurait décidé de se convertir à l’Islam. Il aurait alors interdit la production de ces poteries jugées trop anthropomorphes et mêmes zoomorphes.

Pour ma part je vais ajouter ma vision des choses.

Il était une fois un potier inspiré, né sur les rives de la Bénoué. Ayant appris le métier dans la vallée du Niger il avait rapporté un savoir faire pratique puisé aux traditions régionales qu’il traversait : Djenné, Nok, Katsina, Dakakari… il leur emprunta des figures de styles, des morphologies, des fonctions pratiques.

Et notre potier était un poète, un esprit libre et inventif, doué d’un talent rare. Alors il a créé son style, son école, sa signature.

Revenu de son périple de magicien de la terre des fleuves, il s’est installé et a produit ces pots, vases, coupes, calices que la médecine locale lui a commandé. Il leur a donné des lettres de noblesse et au chevet de ces malades, entre les mains des officiants ces objets se sont chargés de sens. Et comme dans les contes féériques, le vieil homme est parti avec ses secrets…

M.A.

Un étudiant doctorant d’une université américaine serait passé par là dans les années 50/60 et aurait pris quelques notes. Rien n’aurait jamais été publié hormis des photographies de quelques objets collectés. Deux antiquaires, un français n’exerçant plus et un américain saisonnier du Parcours des Mondes, possèdent quelques pièces. Ma collection en répertorie une vingtaine et deux clients ont acquis de petites pièces.