CHIRAC… ET L’HOMME DE BRAZZAVILLE
Brazzaville…1996…
Jacques Chirac fait sa première tournée africaine.
C’est un anniversaire symbolique qui sert de prétexte aux Affaires Étrangères…En 1946 le Général De Gaulle avait convoqué la première (et ultime !) Conférence des Gouverneurs de l’Empire français…Provocateur il en avait confié la préparation au résistant Teitgen, indiscutable, et au gouverneur antillais Félix Eboué, bientôt honni pour la brutalité de son autorité, par tous les délégués africains. L’Africain déteste l’Antillais et vice versa pour de sombres responsabilités depuis la soumission de la négritude après les premières révoltes jusqu’aux leçons oubliées de l’Indépendance d’Haïti…Bref…
C’est aussi ce jour là que De Gaulle dessinera en demi teinte sa future politique coloniale d’élargissement, de coopération, bref d’Indépendance. L’attaché militaire De Gaulle au Liban avant guerre s’était attiré les foudres de sa hiérarchie quand il avait pour la première fois, eu cette vision de l’Empire français.
Que l’événement ait lieu à Brazzaville n’était pas anodin puisque ce fut durant l’exil londonien, la Capitale de la France libre et de son Empire.
Donc Chirac vient au Congo après le Sénégal et le Gabon, 30 ans après le Général.
Les « jeunes » autorités congolaises élues en 1993 après 3 décennies de « marxisme léniniste scientifique » sont débordées par un protocole non maitrisé.
Les services français vont jouer le jeu à fond. Y compris le fameux service élyséen des Voyages présidentiels. Je fais partie des prestataires extérieurs en charge de réussir l’événement.
Avec Jean Louis Kerek, mon caméraman de l’époque (il prend sa retraite cette semaine !!) nous filmons d’abord le grand coup de propreté de la Capitale.
Ce film , « Jour J-1 », nous mettra en joie ; imaginez par exemple que l’on a goudronné et bouché les nids de poule de la voie rapide « Aéroport de Maya Maya- Présidence de la République- Case De Gaulle ». Pour la première fois depuis des années, sur 7km les Landcruisers, BMW, Mercedez des riches de la capitale, pourront passer la troisième, la quatrième et même la cinquième, à 130 km/h.
Trois mois après le départ de Chirac les nids de poules seront de retour. Et la vitesse de sécurité ramenée à 50 Km/h.
A l’Hôtel de Ville, il manquait des poteaux pour hisser tous les drapeaux des pays invités… Nous les avons aidé à supprimer des pays qui ne seraient pas représenter. Hors continent africain. Tonga et Vanuatu en ont fait les frais parmi les premiers.
Au Palais des Congrès et du Peuple nous avons affecté les drapelets de tables devant chaque pupitre pour chefs d’Etat afin que chacun s’y retrouve.
Nous avons aussi suivi les jardiniers en charge des jardinières qui se sont retrouvés avec la moitié des plans de fleurs nécessaires pour les remplir. Je leur avais conseillé de planter des cactus entre chaque pauvre ibiscus…
Le clou de ce tournage sera de suivre les nacelles chargées de remplacer les ampoules des lampadaires du boulevard circulaire, grillées depuis longtemps, aux douilles oxydées, aux câblages dessoudés. Un sur cinq a dû retrouver un usage éphémère. Un lot d’ampoules jaune citron s’est glissé dans le container et cela ne gênera que nous.
On a repeint les passages pour piétons, planté des corbeilles pour les papiers gras, sur le parcours officiel.
La pause des banderoles de « Bienvenue à notre amie la France » va défier les lois de l’équilibre et de la symétrie, bref de la 3D avant l’heure. Parfois les cordes étaient trop courtes donc il fallait chercher des arbres moins éloignés les un des autres…
L’avant veille, à J-2, projection privée. J’avais écrit un commentaire factuel, sans relief ni accent, donc d’une grande platitude pour rendre hommage à l’hospitalité congolaise… Dans le salon de la Case de Gaulle ce sont d’abord une quinzaine de spectateurs privilégiés aux regards obliques étonnés, bientôt suivis de fous rires et enfin libérés par des claques sur les cuisses de l’attaché militaire. Hilare, Raymond Césaire, l’Ambassadeur, ami personnel de Jacques Chirac depuis leur promo de l’E.N.A, me demande de lui remettre la casette pour qu’il l’oublie dans le coffre de son bureau.
Jacques Chirac atterri et le cortège se forme sur le tarmac. J’ai sensibilisé mon chauffeur depuis trois jours, chez le tailleur, en lui offrant un costume en tergal gris souris, une chemise blanche à manchettes et une cravate club. Chaussettes et chaussures noires finissent de l’habiller. Je l’ai conditionné : « tu te colles dans le cortège phares et warning allumés », avec un pare soleil « Medias – Presse. La 504 est nickel chrome, repeinte, vernie . Même les pneus blancs ». Si bien que ne reconnaitrais pas ma voiture sur le parking. Norbert sera surdoué ce jour là : 3eme voiture du cortège officiel, je sauterai en marche sous le péristyle du Palais des Gouverneurs. Sinon, sans accréditation congolaise je serais resté au bar du PLM à attendre le programme français.
Nous sommes 6 européens dans le hall de la Présidence. Pascal Lissouba présente son cabinet à Jacques Chirac. Claudine Munari est habillée d’une robe longue turquoise moulante, prête pour aller danser ! Les jeunes collaborateurs du Président sont tous d’une rare élégance et distinction. Nous avons très chaud et nous, les « moundélés – blancs » sommes déjà humides, froissés et fripés ! Jacques Chirac vient à nous et nous démonte l’épaule en n’écoutant ni nos noms ni nos fonctions. Marathonien tout sourire.
Le Protocole congolais ne présente aucun intérêt pendant deux heures.
Reparti vers la Case de Gaulle au bord du Fleuve Congo, résidence dessinée à la demande du Général par un très jeune architecte génial qui signera toute sa vie Errel, de ses initiales R.L. On lui doit de très beaux bâtiments publics d’architecture climatique. Il était au béton ce que Prouvé sera au métal.
L’ambiance est décontractée, …. Césaire, femme d’une grande distinction, distribue les coupes et les verres, son grand fume-cigarette en mains, plaisantant de sa voix éraillée.
Jacques Chirac toujours flanqué de Jacques Godfrain, arrive avec sa délégation, revit. Le protocole africain est vite pesant. Les Africains sont très formalistes. Chacun feuillette mon livre, « De Gaulle, l’Homme de Brazzaville », édité pour le cinquantenaire de la Conférence. Le titre est emprunté à François Mitterrand, stigmatisant De Gaulle l’Africain mais remettant le Général à l’épicentre de la France Libre.
Jacques Chirac m’invite à le rejoindre dans un Salon Club pour en parler. Il me dédicacera mon exemplaire avec enthousiasme. Le sommaire lui plait. Et une main indiscrète volera un jour pas vu-pas pris, cet exemplaire, dans ma bibliothèque.
Puis sans changer d’attitude, toujours souriant et amical, il m’interrogera sérieusement sur ce que je pense de la situation politique locale.
Je découvre qu’il sait avec assez de précision ce que je fais depuis six ans dans la résolution des conflits ethniques de Brazzaville.
Est ce jour là et à l’occasion de son séjour, qu’il décida de favoriser, soutenir et financer le retour de Denis Sassou Nguesso un an plus tard.
Son ami de promo de l’ENA, l’Ambassadeur Raymond Césaire sera le préparateur occulte de ce coup d’Etat. Il était déjà à Santiago du Chili, dans l’équipe qui fit tomber Allendé.
La dissolution de l’Assemblée nationale de 1997 et le retour de la Gauche de Jospin, précipitera ce qui aurait dû être un « coup d’État institutionnel » en insurrection armée.
« Ils » mettront à profit le passage de relais entre Juppé et Jospin, avec vacance de titulaire aux Affaires étrangères et à la Défense.
Ces cinq premiers jours de Juin 97 vont libérer la violence ethnique des congolais tranquilles. Avec un palmarès de 25.000 victimes, oubliées (et plus discrètes que les 5000 ivoiriens) et une nouvelle ère de dictature qui dure encore aujourd’hui ! Denis Sassou Nguesso était donc à Saint Sulpice et Jacques Chirac était bien un tueur politique froid.
M.A.