CHINE GEBA

Dans la Chine de Mao Tse Tung des années cinquante la pauvreté des populations est extrême. Comme toujours dans ces situations, les populations trouvent des solutions à leurs difficultés de survie.

Les coupons de textiles sont introuvables ?  Les couturiers n’ont plus de matières premières ? Les stocks ? Épuisés ! Les ateliers ? Désertés !

Le ravaudage existe depuis que les pauvres de la planète ont eu besoin de couturier pour rafraîchir des vêtements « fatigués » et prolonger leur usage. Les cols, les coudes, les plastrons, les fonds de culotte, repris, retournés, repiqués, ont rendu une seconde vie aux vestes, aux blouses, aux tenues de travail et même à certains uniformes…

Dans ce domaine les chinois ont bien sûr inventé un genre, un style on ose le dire, un art populaire de la récupération.

Des coupons d’uniformes élimés aux « bleus » de Chine, des robes de Mandarins aux tuniques de velours frappés, tous vestiges d’une époque de relative abondance, se trouvent désormais rassemblés en patchworks, en appliqués non pas cousus mais collés. Ainsi ces planches de tissus récupérés serviront de rustines pour doublures fatiguées, de caches-misère ou de renforts pour rapiécer des vêtements trop usés. Des colporteurs vont voyager avec ces collages comme des planches de spécimens et d’échantillons à redécouper par les couturiers de métier et par les mères de famille.

Après l’ingéniosité, la magie du raffinement chinois a opéré avec la diversité des tissus, rudes ou sophistiqués et la finesse des motifs, imprimés, peints au pochoir… avec des harmonies audacieuses de couleurs. Ces cartons témoignent d’une palette chinoise qui traverse les époques : l’indigo traditionnel, le rouge ancestral, les velours sombres, les pastels soyeux, les broderies vives, les écossais importés, les plumetis de l’enfance et bien sûr le noir ou le brun communs aux classes laborieuses.

Sans le savoir mais inspirées, les « petites mains » chinoises comme on sait aussi créer dans nos ateliers de Haute Couture, ont eu le talent d’associer et de composer ces planches d’échantillons au point de créer des œuvres qui font écho aujourd’hui à nos peintres contemporains, Nicolas de Staël et tant d’autres.

La pratique a duré jusqu’à la Révolution culturelle.

M.A.

J’ai recherché ces Gé Ba à la fin des années 80, au cœur de Xian, près de la Mosquée, chez les nombreux « antiquaires » du quartier. En vain. Un très bon « chineur » franco-chinois, Wang, m’a certifié que des Gé Ba ont été composés avec des textiles calligraphiés témoins de la propagande des « Gardes rouges » !

On doit à un Français, François Dautresme, entrepreneur de talent et d’intuition (La CFOC Compagnie de l’Orient de la Chine c’était lui !) la sauvegarde de cet art populaire collectionné au début des années 60.

Françoise Livinec, en 2018, présenta de nombreux Gé Ba dans sa galerie à Paris. Et plusieurs Commissaires-priseurs, Piasa, Cornette, Carjaval, ont fait des ventes aux enchères à succès.