POISSONS VOTIFS
À propos d’un grand barracuda blanc argent
Le pêcheur est par définition le paysan de la mer, c’est une évidence. Tout le monde connait aussi le lot de superstitions qui accompagne toutes ces traditions vivrières. Le rameau d’olivier et son « dimanche des Rameaux, en est le fleuron Les esprits saints de la planète président aux climats, aux saisons et les dictons sont légion. Il y a bien chez l’homme cueilleur et pécheur, un hommage respectueux à des manifestations divines qui ont développé l’animisme et la religiosité.
Les récoltes autosuffisantes et même abondantes ont alterné avec les disettes et les famines. Punitions terribles, la faim et la soif sont des peurs ancestrales. Plus encore que les grandes pandémies.
Alors le ciel, la terre, les océans vont mériter des hommages et des offrandes, susciter des cultes et des rituels, générés des fêtes et des célébrations. Toutes les latitudes et longitudes sont les repères sur la Terre, de fêtes et cultes votifs pour s’assurer de notre survie et de notre bonheur. Sur les 5 continents, de l’équateur aux pôles, tout les pêcheurs ont voulu s’attirer les bonnes grâces des divinités qui se cachent aux fins fonds des lagunes, des mangroves, des lacs, des rivières, des mers et des océans infinis…
Les hommes ont choisi le répertoire de la séduction féminine pour s’attirer les bonnes grâces de la nature, l’hommage sérieux aux trésors naturels, le respect du pouvoir de nuisance de la colère divine. La dévotion prendra des atours différents et les grandes religions vont mêler leur cérémonial aux traditions animistes, l’art officiel va côtoyer l’art populaire, les grands Saints vont sortir en procession suivis des Diables et des Fantômes.
Ainsi les enfants vont ils fleurir de pétales colorés les rives et les vagues des plages de Salvador de Bahia tout comme les pinasses des marais de la Brière porteront des cerceaux fleuris. A Saint Pierre, en Narbonnais, les bateaux de pêcheurs portent en proue un crucifix fleuri pour des bénédictions qui fendent le vent. Sur les rives du Niger, au Mali, des masquerades de grandes figurines, font danser poupées articulées ou masques cimiers bozo. Sur les bords de la Bénoué au Nigéria des processions aux masques animés, foulent le limon fertile.
Dans le Pool qui sépare Kinshasa et Brazzaville ce sont des sirènes sensuelles qui traquent le mauvais sort, parfumées d’eau de Cologne bon marché pour dissiper les mauvaises odeurs. Et sur les rives de Grand Popo au Bénin il n’est pas rare de voir des pécheurs s’enfoncer dans la lagune en portant sur la tête de grands poissons en bois.
Requins-scie, barracudas carnassiers, capitaines ventrus, silures moustachues, bonites argentées…qui flotteront bientôt dans le ressac.
Et les pécheurs du Ghana ornent leurs grandes pirogues de drapeaux, patchworks colorés, baroques, « flags » qui flottent au vent comme une Armada. Dans la mangrove de l’Orénoque, au Kérala en Inde, sur le Mékong laotien, partout les pêcheurs rêvent toujours de pêches miraculeuses !
Les pirogues de haute mer, fortes d’une dizaine d’hommes d’équipage embarqués pour trois jours reprendront la mer avec leurs coques gravées en hommage à Dieu. Les processions de filets bleus à dos d’homme rejoindront d’autres pirogues plus courtes qui iront poser leur filet d’un jour. Le spectacle des retours de pêche est bien la preuve que tout un monde en vit au jour le jour, de porte faix payés d’une poignée de sardines, de poissonnières de quartiers portant sur la tête de grandes bassines d’aluminium, de mères de famille patientes, de cuisinières de fumoirs, et même de couturiers réparateurs de filets …
Tout cela vaut bien quelques prières…
M.A.