JEAN-CLAUDE QUIRIN

Jean-Claude Quirin n’avait pas 60 ans lorsqu’il est parti, surprenant comme une mauvaise plaisanterie, en ces premiers jours d’avril 2000.
Toute sa vie Jean-Claude a donné l’impression de voyager sur un nuage, de voler comme un planeur furtif, discret avec un œil attentif sur l’horizon et observateur méticuleux des turbulences qui le portaient. Il avait une douceur et une légèreté qui faisait écho sans doute au drame qu’il portait en lui, fumeur invétéré, marcheur fragile. Son regard était mouillé de gris bleu et sa voix lui donnait du « coffre ». Il attirait la curiosité et très vite la sympathie respectueuse et, souvent, la tendresse de ses interlocuteurs. Nous avons été une poignée à nous inquiéter de ses bas et nous féliciter de ses hauts.

QUIRIN & ROUSSEAU
QUIRIN & ROUSSEAU

Jeune normalien il publie en 1967 une présentation critique du Discours l’Origine de l’inégalité de Jean Jacques Rousseau.  Jean-Claude annonçait les stigmates de la générosité qui ne le quittera pas. Il s’était d’ailleurs engagé depuis 1965 à diriger aux Éditions de Minuit, les six livraisons semestrielles d’Alétheia, revue de philosophie où il publie Roland Barthes et d’autres intellectuels à la veille de 1968.

ALETHEIA et J.C.QUIRIN
ALETHEIA et J.C.QUIRIN

Il entre « dans la carrière » comment on le disait encore en 75. Ce sont les années Giscard et le discours est à la modernité. Il est affecté à l’étranger pour son premier poste, en Éthiopie. Pour le jeune intellectuel qui embrasse la diplomatie c’est un terrain riche d’histoire et illustré d’exemples romanesques qui ne peuvent le laisser indifférent. Il sera Conseiller culturel et il trouvera là le registre qu’il va affectionner tout au long de sa carrière. Plus tard au Gabon, dans les années 90 il va redonner au CCF, le centre culturel français, un ancrage renouvelé avec une collection de monographies ethnographiques qui réhabilitent la tradition forte du Gabon, mise à mal par le mirage pétrolier de ce pays d’Afrique centrale qui mérite ce regain de curiosité.
Jean Claude Quirin tombe dans le bassin du Congo, vortex d’une étrange force d’attractivité. Brazzaville reçoit Jean-Claude Quirin au moment où le pays se libère d’un héritage marxiste léniniste scientifique trop pesant depuis un quart de siècle et Jean-Claude va accompagner l’action culturelle française qui prend sa part dans cette libération.

Ce qui intéresse alors Jean-Claude Quirin, ce n’est plus l’histoire mais les lendemains qui devraient chanter. C’est de jouer un coup d’avance, c’est d’être capable d’anticiper et d’avoir une vision de la culture de l’Afrique centrale pour la remettre justement au centre de ce que l’on appelle déjà les Arts Premiers.  Mais aussi le Théâtre congolais au répertoire fort de Tchikaya Utamsi ou Sony Laboutansi, et le son des Tambours de Brazza héritiers du puissant Franco et son OK Jazz. Il évitera le naufrage de l’Ecole de Poto Poto et réconfortera les Gotène et Odongo. Dans cette parenthèse congolaise trop courte qui prend fin avec un coup d’état annoncé, dévastateur et nostalgique, Jean Claude laisse sa marque comme partout où il est passé. Nous avons édité ensemble L’imaginaire sauvage première livraison d’un essai éditorial sur l’art traditionnel du Congo. Nous avons réalisé une grande exposition à succès avec 50 000 visiteurs en trois mois À Brazzaville, du jamais vu, préfigurant ainsi ce que pouvait être un musée de l’Afrique centrale au moment où Branly était encore sur les tables à dessin de Jean Nouvel.

De retour à Paris, Jean-Claude gère la fin de la crise congolaise et poursuit son engagement attaché au développement de l’Afrique. Il fait la synthèse pour Dominique Strauss-Kahn et Michel Roussin de ce que doit être la relance de l’investissement Français en Afrique. Une fois encore, ensemble, nous allons innover, et adopter la nouvelle technologie de l’Internet pour signer et créer le premier site économique de l’Afrique francophone et de la zone du Franc CFA. Ce succès va durer dix années durant, véritable succès de consultation avec des milliers d’internautes quotidiens (jusqu’à 40.000). Investir en Zone Franc, IZF.net, devient le site de référence sur l’Afrique pour tout voyageur, tout investisseur, tout partenaire, du développement.

On se souvient de la silhouette fragile de Jean-Claude et de son pas de Sénateur, son éternelle gauloise et son verre de rouge au bout de ses doigts graciles… son regard posé sur votre épaule avant de vous scruter.
Il va partir, laissant Tersa, son amour indienne et ses filles, gardiennes du temple.
Nous pensions tous qu’il aurait dû sans doute faire plus attention à lui.
C’est un peu par mégarde qu’il s’est arrêté le 4 Avril. Facétie de Jean Claude, du Ministère de la Coopération on apercevait l’Église de… où nous étions si nombreux à en pleurer.

M.A.