PHILIPPE MORTA

Portrait de Phillipe N.

Philippe N. est à l’évidence l’Homme de plusieurs vies.
Un physique qui diffuse tant d’énergie. Un visage qui ne laisse pas indifférent. Avec les pognes calleuses de qui sait manier des outils. Un front bas sous une frange en bataille. Un menton en galoche décidée. Et au milieu… la malice. D’un regard aux aguets. D’un sourire de charme qui fend souvent son visage en deux.
Sa démarche est vive, saccadée, les bras toujours chargés, les mains toujours pleines.
Son allure alors qu’il danse d’un pied sur l’autre est loin de sa force tranquille. Sa voix joue sur la gamme du comédien qu’il aurait pu être car la vie est un jeu.
Une voix du grave au primesautier, de la confidence à l’éclat.
Et puis l’ADN s’en est mêlé : Philippe est roux, un vrai roux comme les Albinos savent l’être en Afrique. Le voilà différent de tous depuis toujours et cela lui a forgé un tempérament ! une conduite et une image !
Quand il s’anime, il nous promène, nous ballade, nous perd entre ironie et blague franche, entre mots d’esprit et points de suspension, entre sérieux et potache…
Mais il ne nous trompe jamais : il est là où on l’attend, là où ses promesses le mènent comme autant de rêves commencés et toujours pas finis. Il sera toujours au rendez-vous même s’il a choisi ses chemins détournés.

Philippe N. est un voyageur inspiré. Son zodiaque l’embarque, ses ascendants le guident même si ses lunes lui tournent la tête pleine d’étoiles. Dès le début on se doutait bien que les Académies diverses et variées ne le séduiraient pas et que son appétit de vivre serait son premier diplôme…
Il est « fils de mineur » : pas banal à déclarer aujourd’hui où les terrils sont paysagés. Né à Clisson dans l’ombre du Château, dans les courbes de la Sèvre qui traversent en profondeur ce haut lieu. Il porte les couleurs de ces terres torturées dans les années 1950 de puits et galeries, de descenderies et ces collines, mines à ciel ouvert, traversées par la Moine. Industrie modèle, plus de 4.000 tonnes d’uranium seront extraites et tout sera comblé en 1992.
Et il brandit volontiers le bonnet Chouan de l’histoire et sort le drapeau de la Vendée qu’il revendique comme terre d’exception aux marches de la Bretagne.
C’est son patrimoine tout simplement. Ce sont ses racines. Tous les ingrédients d’une comédie musicale sont réunis mais c’est trop tard. Il en fera une vie pleine (et pas finie !).
Philippe N. se lance à l’énergie, à la dure école des vendeurs. Entreprenant il sent bien qu’il pourrait devenir un entrepreneur. Il traversera le monde qui sépare l’Artisanat de l’Industrie, se brûlant même un peu le bout des ailes au jeu de l’investisseur privé administrateur de biens. Salarié il retrouvera le chemin de la PME de Services en patron propriétaire de son outil de travail, et ce sera sa réussite et son capital.

Entre Vendée, Bretagne et Loire Atlantique à sa porte, c’est son territoire. Qu’il traverse et découvre et il se prend de passion pour la Brière. C’est un retour à la nature profonde, à la tourbe et la terre noire d’une forêt submergée et ensevelie il y a près de 5000 ans.
C’est l’accord parfait entre la liberté d’une nature puissante, une histoire toujours en train de s’écrire sous nos yeux et une vision symbolique de nos racines.

Ces arbres noirs remontent inexorablement à la surface et s’annoncent en brûlant l’herbe.
Il faut avoir vu Philippe N. parcourir ces bandes rousses au milieu des champs de pâturage humide, pour comprendre qu’il est émerveillé par ce qui se passe sous ses pieds.
Le bois de Morta est là. Gorgé d’eau, presque fossile, couleur d’ardoisine, avec un densité rare. Son extraction est difficile, au palan, à la pelleteuse, au godet. Elle n’est possible qu’avec la complicité du paysan. Il y retrouvera une terre à labourer débarrassé de ces arbres morts mais revenants en surface qui auraient brisé toutes les lames, les socs, les herses. Dur dur. Donnant donnant.

Philippe N. gardera deux ans ses trophées avant qu’ils ne soient secs. Il les ausculte comme un vigneron retourne ses bouteilles ou un fromager tâte ses tommes !
Le Morta gagne les contrées du Congo et du Gabon, en retrouvant les reflets de l’ébène noir et gris.
Les troncs sont débités au format voulu – il y a laissé de nombreuses scies- il en tire des lames de bois d’exception. Il ponce ce qu’il débite, ce qu’il découpe.
Il conserve en l’état, avant de les sabler, les branches folles, les racines perdues.
Au hasard certaines trouvent leur place et leur orientation naturelle. Sur d’autres il forcera un peu le destin…mais le Morta est un bois rebelle qui ne se domestique pas, sauf à le débiter en buchettes, en plaquettes. Il en fait alors des tableaux composés de nuances de noirs et de gris, doux ou rugueux, rehaussés parfois par un fil ou une coulure de laiton.

Philippe N. a franchi avec le Morta la ligne qui le séparait de l’artiste qu’il est désormais. Il aura mis la moitié de sa vie avant de découvrir qu’il était né « artiste ». Et il ne régressera jamais car le Morta lui a ouvert de nouveaux horizons où son imagination peut enfin donner corps et âmes à des objets pleins de vie, avec une matière pleine de magie.
Pour se reposer, avec ses amis, chaque mois, il parcourt sans s’économiser, les marais à vélo et le littoral pour nager, par tempérament. Et besoin de se fondre dans le paysage.

M.A.

LaBaule, le 13 Juillet 2021