L’ESSENTIEL SELON MONOD
Il était une somme, un tout, un exemple et un modèle, l’une de ces exceptions dans notre siècle. Il était de ces hommes de légende que l’extrême du désert fait jaillir d’un rift et dont l’ombre lunaire se dresse longtemps sur la pente des dunes. De Lawrence d’Arabie au Père Theillard du Chardin, de Montfreid à………
Souvent j’ai voyagé avec un livre de grand voyageur, Albert Londres, Joseph Kessel, Conrad ou André Gide, pour m’imprégner de leur passage, parfois avec nostalgie, souvent avec la curiosité d’un pisteur : j’ai donc mis dans mes sacs, au Tchad, les Méharées de Théodore Monod, ses mots ayant réveillé mon goût pour la poésie.
À la fin de sa longue vie, avide de revenir sur les théâtres de sa passion, Théodore Monod a troqué avec un voyagiste italien, l’accompagnement érudit de marcheurs dans les dunes et les rochers du Tibesti ou de l’Ennedi contre le voyage, le gite et le couvert de bivouacs pendant deux semaines au départ de N’Djamena. Ces groupes partaient de N‘Djaména, de la Tchadienne.
Après des années d’embargo j’avais obtenu d’Idriss Deby, sans le rencontrer mais sur une recommandation décisive, le droit de produire des documentaires pour « Faut pas rêver ». Je n’étais pas peu fier de devancer les Honorables Depardon et autres, car ce fut la première incursion d’une caméra depuis les « affaires » du Commandant Galopin et de l’ethnologue Françoise Claustre. Au nord sur la bande d’Aouzou , au centre dans les massifs désertiques, autour de Bol sur les rives du lac Tchad et même jusqu’à Léré et son sultan polygame aux 63 épouses.Mon point fixe était aussi la Tchadienne, hôtel plus confortable qu’un campement local. Le propriétaire avait eu l’idée, à l’entrée de la paillote du restaurant, de mettre dans des enclos des varans et autres espèces endémiques. Un couple d’impressionnantes tortues faisait partie de ce zoo improvisé.
Un jour, en rejoignant la paillote, je tombe sur Théodore Monod en arrêt devant le spectacle de l’accouplement de ces tortues. Il me sourit et tourne la tête en silence. Nous regardons sans le commenter, le manège amoureux, deux ou trois minutes.
Satisfait, le mâle quitte sa position bancale et s’en va. Monod se retourne et me dit : « là est peut être l’essentiel ».
Et il part rejoindre sa table de marcheurs italiens. Théodore Monod a rejoint ses étoiles l’hiver suivant.
M.A.