L’IMAGINAIRE SAUVAGE

Commentaires sur des idoles

ZAIRE - L'imaginaire sauvage

Dans l’imaginaire sauvage tout sujet est un choix et alors ici, ce qui importe, pour croire en l’expertise, c’est d’agiter les certitudes qui forment les valeurs admises sur les arts premiers d’Afrique. Si elles survivent au débat, elles n’en seront que plus fortes. Si elles n’y résistent pas, leur usurpation cèdera la place.

Jean-Claude Quirin et moi, à Brazzaville, nous réunissions quelques amis passionnés Nous avons débattu des heures entières en tenant dans nos mains des masques et des statuettes sortis tout droit des ateliers d’artisans de Kinshasa. La volonté de copier était évidente et la volonté de tromper l’était encore plus. Nombreux ont été les sceptiques et les incrédules…souvent attendris par le savoir-faire de copistes malins, d’artisans doués, si proches parfois de l’univers des créateurs. Mais, forts de leur documentation « scientifique », convaincus de leur cinquième sens, aveuglés par la découverte d’indices « irréfutables » plus nombreux encore furent les amateurs et acheteurs convaincus d’avoir trouvé le trésor caché qui feraient leur fortune. Les années passant leurs spéculations furent vaines : « j’achète Tout et l’objet authentique et ancien viendra à moi dans ce flot de copies ». Des entrepôts entiers au Bourget ou à Vendargues en témoigneront, remplis de faiseurs de pluie, de masques de maladie, de cercueils nbaka ou de fétiches « Congo », dénominations fantaisistes qui à elles seules suffisent à dénoncer la supercherie.

Heureusement Jean Claude Quirin et moi avions un avantage infaillible ou presque, comme une botte secrète dans ce jeu !
À la demande de la Coopération française que Jean Claude dirigeait au Congo, j’avais réalisé une grande exposition au CCF, Centre Culturel Français*, préfigurant un projet de Musée des Arts Premiers d’Afrique centrale. Je m’étais entouré de quelques experts de la profession et en premier lieu de Marc Léo Felix incontournable connaisseur du terrain, des peuples et des usages primordiaux, chez lui sur les bords du Fleuve et dans ses savanes à la lisière de la grande forêt.

Dans cette région du Bassin du Congo, Marc a eu le génie de reporter ses notes de voyages et d’explorations, de relever les dimensions, les poids et volumes, et toutes les caractéristiques des objets qu’il croisait. Il a retenu ce qui restait de la légende orale des « papas » qu’il croisait. Pierre Amrouche au Gabon, moi-même au Congo, avons été parmi les derniers marcheurs dans les villages. Marc Léo Felix en a fait une véritable bible, encyclopédie critique du collecteur qu’il était, à destination de ses collectionneurs et clients : 100 Tribus du Zaïre. Comme un anthropologue de terrain, comme un botaniste ou entomologiste voyageur, Marc a dessiné profils et coupes de statuettes et objets usuels, masques et objets de cultes, relevant les traits caractéristiques d’une feuille de style de chaque ethnie rencontrée. Le dessin de Marc est à plat, filaire, comme une ligne claire. Marc Léo Felix a ensuite photocopié ses notes et ses planches, reliées dans une édition modeste à la manière d’une thèse d’étudiant à la couverture d’un bleu triste. Moins de cent exemplaires sont produits si je me souviens bien de la précision de Marc.

Par un hasard inexpliqué un exemplaire tombe entre les mains de copistes artisans de Kinshasa qui se mettent au travail et inondent le réseau des colporteurs en Afrique, à Bruxelles et à Paris. Mais il manque une donnée essentielle pour fabriquer des copies ou pire, des faux ! : les données des 100 Tribus du Zaïre ne comportent aucune mesure, aucune indications des volumes. Autrement dit les faussaires travaillent en 2D mais ignorent la 3D de tous les objets. C’est un piège qui se referme sur les faussaires : leurs objets sont « plats ».

La prolifération de ces objets copiés va masquer un autre débat : s’agit-il de copies d’objets anciens ou de faux destinés à abuser les amateurs.
C’est l’objet de cet essai où Jean Claude Quirin exerce son analyse critique. Le marché occidental des collectionneurs a imposé le rapport Ancienneté/Rareté/Valeur.
Alors que nous savons tous aujourd’hui que les traditions perdurent, que les rituels sont encore pratiqués et donc que leurs supports, masques et statuettes pour l’essentiel, sont vivants, renouvelés au goût du jour mais toujours reliés à la tradition par une charge symbolique. Le chineur collectionneur des années 90 se rassurait parfois avec des emplâtres tels que « objet tardif » ou « objet colon » !

M.A.