PAUL AHYI

Le premier artiste citoyen togolais

Très tôt, Paul Ahyi a choisi de s’engager. En artiste citoyen. Jamais en militant partisan.

Né en 1930 de parents togolais, Paul Ahyi sera cependant éduqué par une princesse de la cour d’Abomey, fille d’amazone, épouse de son père installé au Dahomey. Paul Ahyi aura sous les yeux les bas-reliefs du Palais Royal et les grandes sculptures commémoratives des souverains passés. C’est son jardin d’enfant, son terrain de jeux.

Doué, repéré à l’adolescence, il sera à vie marqué par la richesse de cet art de cour, souvent monumental, alliant la puissance des volumes et la floraison des couleurs aux matières nobles telles que le bois, le fer, le bronze et la terre cuite ou crue, mais aussi les textiles. Il sera ensuite formé dans les prestigieuses écoles d’Art à Dakar puis Lyon et enfin Paris dans de grands « ateliers ».

Paul Ahyi aurait pu rester en Europe et y vivre un destin dans la diaspora. Au contraire, à peine diplômé, il rentre au pays. Il sait que tout se joue en 1960 au Togo, ou l’Histoire s’écrit chaque jour : il faut créer un drapeau national, écrire la partition de l’hymne national, bâtir un monument digne de l’Indépendance. Toutes ces circonstances imprégneront profondément sa vocation d’artiste pluridisciplinaire.

Paul Ahyi en atelier

Paul Ahyi, artiste complet.

Il dessine des portraits, des coiffes ouvragées et aussi des profils iconiques de l’africaine en majesté. Il peint encore et toujours la femme africaine en amante, en maternité. Du dessin au fer forgé, de la peinture à la gravure, du pastel au bois brûlé, de la sculpture sur bois à la fresque, de la céramique au vitrail… Il grave le métal, le zinc et le laiton pour expérimenter des matériaux de son époque. Il maitrise la technique du zota, bois brûlé au chalumeau. Et il sculpte aussi le bois africain, teck de Tsévié ou Kpalimé avec force, à la gouge, à l’herminette, au maillet : sculptures fortes, couples primordiaux, poteaux lancés au ciel. Il modèle des sculptures articulées en empilements dans l’argile de Bassar et il moule le ciment coloré pour l’installer en longues fresques. Enfin il maîtrise le feu de son four pour des céramiques livrées aux pigments brillants que sa palette sait si bien créer. Et pour ne pas être en reste Paul Ahyi crée des murs de lumières avec des pavés de verre aux éclats personnels. Peu d’artistes contemporains maîtrisent à ce point toutes ses techniques.

Artiste emblématique d’un Togo prospère.

Paul Ahyi est donc l’artiste complet par excellence et il ajoute à sa palette la capacité à créer des œuvres de grande dimension, des œuvres monumentales, qui feront de lui l’un des artistes les plus remarquables du paysage urbain togolais. Assez curieusement Paul Ahyi est souvent sollicité par les institutions togolaises ou panafricaines quand il faut créer une œuvre emblématique. En effet l’artiste est le favori du Président togolais, nordiste, autoritaire, Gnassingbé Eyadema, alors que Paul Ahyi serait plutôt lié à la mouvance sudiste par sa naissance et son militantisme des années 60. Les deux hommes que tout aurait pu opposer étaient d’accord sur des gestes artistiques qui dépassaient l’esprit partisan et installaient des symboles. Ainsi Lomé à elle seule, recèle près de trente œuvres publiques. Réalisées en vingt ans. D’autres, quelques fois au delà des frontières du Togo. Et à Lomé, on estime au double les commandes privées que l’on peut découvrir au hasard : fontaines, escaliers, vitraux, ferronneries, plafonds staffés etc… dans les belles maisons des années 60.

Le musée Agnassan Paul Ahyi à Lomé au Togo. © Benedicta Honyiglo

Compagnon, Maitre, Professeur

Paul Ahyi est libre dans sa culture, c’est un créateur en continu. L’un des plus créatifs de sa génération, il sera de tous les débats d’idée de l’époque qu’il fera vivre toute sa vie d’adulte. Paul Ahyi aura été d’abord un compagnon d’atelier pour devenir avec le temps, un professeur pluridisciplinaire. L’artiste ne craignait aucune matière, les maîtrisait toutes, des plus anciennes aux plus modernes. Paul AHYI est bien l’un des rares artistes complets qui a exploré tous les genres. En cela il pourrait même être inégalé en Afrique. Pour des œuvres intimes ou publiques, monumentales ou d’intérieur.

C’était un maître exigeant mais généreux qui adressait son œuvre aux jeunes artistes. Comme un livre ouvert.  Il les invitait aussi à venir sur sa terre d’Afrique. C’est ainsi qu’est né au soir de sa vie, l’idée de sa Fondation, à Agnassan. Un espace, un lieu, un repère ou encore un refuge. Pour voir et apprendre, pour stimuler la curiosité. Pour confronter le travail de l’artiste au regard d’un visiteur en quête d’émotion. Agnassan en est la démonstration, fondation encore en devenir, avec l’énergie familiale et un jour, le soutien souhaitable d’un public conquis.

M.A.