À PROPOS DE MAMY WATA

On ne plaisante pas avec « l’imaginaire sauvage ».

Vous qui avez accosté sur ce continent africain vous vous êtes accommodés de ses croyances, de ses icônes et de ses légendes.

Depuis la nuit des temps, « Mamy Water » colportée par le pidgin anglophone populaire est devenue « Mami wata ». On rend partout un culte puissant et varié à cette sirène. Dans l’imaginaire vodou, Mamy Wata est un mythe destiné à impressionner les populations, à les rappeler à l’ordre, à imposer l’observance de règles. Elle exerce un pouvoir tutélaire sur les femmes et tient en respect les hommes. Elle transcende toutes les énergies et on craint son autorité. Elle est à sa manière, un Ordre supérieur qu’il convient de respecter.

Elle entraine dans son sillage ses fidèles, ses adeptes, ses troupes.

Il faut avoir vues les prêtresses de Mamy Wata sur les plages de l’Océan, à Ouidah au Bénin, à Aneho au Togo, se rassembler en processions, faire front à la vague de barre puissante, plonger et refluer en ligne pour savoir qu’une solidarité exceptionnelle les rend fortes.

Plus que tout autre culte du vodou, celui de Mamy Wata en impose par sa longévité, par son énergie renouvelée, sans faille.

Pour les uns, sur le Niger, Mami Wata est une Ophélie africaine, réincarnation d’une femme peulh entraînée par une sirène dans le limon.

Pour d’autres, dans la mangrove du Mono et aux Bouches du Roi, elle est une déesse mère protectrice animée d’un esprit positif joyeux, « qui aime rire et vivre, qui apprécie le charme des parfums, des fleurs, des fruits… et se parer de perles» chante une comptine. Plus loin sur l’Équateur, dans le Pool du Congo, Mami Wata reste une divinité protectrice de la famille… à condition de l’éviter !

D’où viendrait cette créature ? Plusieurs hypothèses circulent où se confrontent celle des villageois sidérés et celle des universitaires éclairés, des marchands affranchis aux experts avertis, des voyageurs curieux aux adeptes muets.

Voici mes favorites. Une origine, naturaliste, serait, fondée sur la présence de vastes colonies de lamantins, grand mammifère des embouchures des grands fleuves et de la mangrove de l’Orénoque au Congo, du Niger au Mono, de l’Amazone au Mekong… Le lamentin a toujours frappé les esprits par l’aspect humanoïde de sa femelle, dotée d’une peau rose et d’une poitrine généreuse. Sa puissante nageoire caudale la dresse devant les riverains curieux et crédules, pécheurs ou paysans, tous villageois des mangroves. Elle chante comme les dauphins et son chant a frappé les populations comme un charme envoûtant. Elle aurait de nombreuses et fines antennes ou moustaches brillantes. Elle se pose en rivales des femmes du littoral…

Les historiens et les ethnologues défendent une origine européenne fondée sur la présence de figures de proues des vaisseaux le long des côtes d’Afrique dès le 15ème siècle.

Le commerce triangulaire prévaut avec l’archétype de la sirène, séductrice et prédatrice à la fois, « qui prend dans ses bras nourriciers ses enfants mais ne les rend jamais » comme le serine une comptine connue de Porto Novo à Ouidah, de Grand Popo à Accra en passant par Lomé. Les portes de l’esclavage y sont célébrées et les chants mettent en garde contre la tentation faite femme ! Et le danger est bien de se laisser charmer par le chant des sirènes, leur peau de bébé, leur poitrine généreuse et leur chevelure dorée.

Pire encore. Dans le Golfe de Guinée le serpent fondateur des cultes du vaudou fon est l’accessoire de Mamy Wata, en sautoir autour du cou, en ceinture à la taille. Là encore, comme pour rappeler la tentation d’Eve, colportée avec succès, depuis l’Évangélisation.

Mamy Wata est donc un syncrétisme qui va même chercher l’imagerie populaire indienne des Shiva et autres Ganesh, adoptée curieusement par des charlatans européens au XIXème, prussiens vendeurs d’un élixir de jouvence…Ultime version qui renvoie les férus de bande dessinée à Lucky Luke et son charlatan vendeur d’Élixir, personnage en frac noir, coiffé de chapeau claque, toujours roulé dans le goudron et emplumé de poulets!

Enfin Mami Wata serait aussi une « femme moderne, qui travaille et prend son destin en main, à l’image de la femme libérée, admirée et crainte à la fois ». Les Congolais, qui la célèbrent ainsi, l’affublent désormais des progrès de la Téléphonie. Après le combiné en bakélite noire, le portable a fait son apparition dans les années 2000, Mamy Wata ne ratant aucun des signes extérieurs de richesse de son époque. Les artistes de Kinshasa, Moké notamment, l’ont illustrée à la poursuite de leur proie réfugiée dans un arbre à Pain ou un Cocotier. Le serpent est toujours là, peu amical, et le crocodile prête souvent main forte à Mamy Wata.

Une question à éclaircir : qui a décidé le premier de décorer d’une belle sirène la proue des bateaux européens… Colbert ?

M.A. – 2015/2021